Pour commencer cet article, je vais reprendre le début d’un autre, plus ancien, qui traitait de structure du récit.

« Dans exercice appelé « Avance! Colore! », donné par Christophe Tournier et repris de Keith Johnston, une personne conte une histoire selon les indications d’une seconde. Cette seconde a le choix entre « Avance! » et « Colore! » puis dans un second temps « Rappelle! ». « Avance! » et « Rappelle! » enjoignent respectivement à avancer dans l’histoire, dérouler son fil et à réintroduire dans le fil de l’histoire un élément déjà cité auparavant. Johnston utilise les termes « Connect » et « Re-incorporate », que je trouve moins ludiques mais plus signifiants… Colorer par contre, c’est décrire et donner des détails sur la situation en même temps que ça ouvre des pistes. C’est très  » visuel  » comme référence, colorer…On pourrait aussi dire  » Texture ! « ,  » Épaissis ! »,  » Matérialise ! « …
Ces 3 choix, avancer, colorer, ré-incorporer, me semblent les outils de base de la construction d’une histoire. Les leviers à utiliser pour modeler l’histoire. »

Ce billet de blog de Martin Vidberg, BDiste de plus en plus de renom illustre bien l’intérêt de la coloration. Pour économiser de la place et faire en sorte que son histoire tienne en 3 planches, il fait des ellipses en passant sous silence les phases de « coloration ». Et coïncidence étonnante, les planches ne sont pas colorées non plus Noir et blanc strict! Constat :  C’est effectivement drôle. Ne faire que avancer paraît très artificiel et donne donc à sourire car « l’épopée » parait un brin facile. (J’ai un petit faible pour  « J’ai entendu ta plainte jeune aventurier, je vais te former, j’ai été moi-même chevalier de l’ordre blanc. Prend cette épéé. Ainsi s’achève ta formation. » Une phrase  apportant une info constructive par proposition! ça c’est de l’efficacité!)

Cela donne des corollaires :

  • Une manière d’être drôle peut être de ne faire que avancer. C’est d’ailleurs un des ressorts du comique dans la catégorie « Peau de chagrin »/ »Dégressive ».
  • Si vous voulez tenir dans la durée, la coloration est indispensable. Si vous ne faites que avancer, en 3 planches vous avez éclusé un sujet qui pourrait tenir en 30.
  • Et conclusion plus particulière à ce cas précis, sans coloration, de nombreuses histoires « Contes et légendes » semblent des clichés sur patte…

En impro, on parle peu de la coloration, je trouve et, souvent, de « l’avancée »… Construire est une préoccupation largement répandue. Peut-être parce que cela a été très théorisé… Peut-être aussi parce que cela ne vient pas tout seul au début… Autant on peut faire des personnages très typés avec peu d’expérience, autant mener une histoire avec un début, un milieu et une fin cohérentes demande un peu de bouteille.
Et c’est peut-être aussi le piège de la coloration… Ce n’est pas parce que les bases arrivent vite que ça ne demande pas de boulot…

Mais bizarrement, pour la construction, comme pour la coloration, le boulot est le même : Il s’agit d’apprendre à canaliser son flux d’inspiration pour lui donner une cohérence.

Ce qui implique soit, en premier de créer le flux (Travail de la spontanéité), de l’épaissir et d’y faire des choix (Travail de la culture). La version créative de l’apprentissage. Celle de l’impro théatrale bien souvent.
Soit de commencer par faire lentement des choses cohérentes pour automatiser ensuite.  La version réfléchie de l’apprentissage. Celle que je pratique en impro au piano.
La version réfléchie permet de faire des choses léchées. La version créative permet de faire des choses nouvelles.

Il y a sans doute un équilibre à trouver entre les 2.

C’est pour ça que je préconise, de temps en temps, des exercices où un comedien peut « figer » le temps pour prendre le temps de sculpter son intervention à venir, son personnage ou sa phrase… Car l’exercice n’est pas le spectacle, et on peut y prendre son temps.

Voici, dans cette idée, une proposition d’exercice. Faites moi part de vos commentaires à son sujet.

Il s’agit de séparer les rôles de comédien-auteur-metteur en scène habituellement tous tenus par tous les improvisateurs en même temps.
Les comédiens y sont remis à leur seul place de comédiens. Ils jouent ce qu’on leur propose de jouer. A l’instant où ils considèrent qu’ils ont atteint la fin des d’indications, ils se figent. Pour eux, c’est acceptation-jeu d’acteur-cohérence-écoute.
Lorsque les comédiens s’arrêtent, l’auteur, sur le banc explique l’avancée suivante, de manière très généraliste. (« Tu rentres chez toi et trouves ta maison vide. ») Pour lui, c’est construction donc.
Le metteur en scène précise la coloration (Sur le chemin du retour, tu est très joyeux dans la voiture,  mais tu ne dis rien et tu nous laisse le temps de profiter de ton état, tu conduis de manière réaliste, avec des stop, des carrefours, des choix de direction. Tu ne soupçonnes rien. Ta maison est une maison de banlieue, un pavillon comme tous ceux de tes voisins. Et en faite, ta maison est vide dans le sens où tes enfants ne sont pas là alors qu’il devraient. Tu les cherches. La peur monte doucement.) Pour lui c’est coloration, spécificité et cohérence.
Les comédiens jouent la proposition et finissent de rajouter des détails, dans l’espace mince qu’il leur reste, en respectant l’ambiance qui semble avoir été voulu par les 2 directeurs. Ils ne cherchent pas à être originaux ou surprendre, mais plutôt à se mettre sur la ligne qu’on leur a proposé et aller dans ce sens. Jusqu’à ce qu’ils se figent de nouveau.
Prendre son temps au départ puis accélérer un peu après quand le fonctionnement de l’exercice est intégré.
Et bien sûr, s’exercer à tout.
Comme d’habitude

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